Comprendre les bouleversements que connaît la Syrie depuis 2011 constitue un enjeu épistémologique, éthique et également réflexif tant l’engagement du chercheur est devenu quasi inévitable. L’équipe du projet SHAKK (« incertitude » en arabe) entend se saisir de ces différents enjeux dans une perspective pluridisciplinaire et comparative. Associant le Centre d’études en Sciences sociales du religieux (CéSor), l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), le département de l’audiovisuel de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) et l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (Iremam) l’équipe est composée de neuf chercheurs – anthropologues, politistes, historiens et linguistes – d’un ingénieur de recherche, spécialiste des Humanités numériques, ainsi que d’un conservateur spécialiste des archives audiovisuelles.
Il s’agit tout d’abord de revenir sur la genèse de la révolte et des étapes de sa mutation en conflit guerrier à partir des acteurs, des trajectoires, des actions et des récits, jusque-là peu pris en compte. Nous analyserons de manière circonstanciée et située les reconfigurations politiques, religieuses, sociales, territoriales et mémorielles propres à ce contexte d’incertitude et de violence extrême. Nos recherches seront irriguées par une réflexion sur les relations brisées, suspendues et renouvelées par la révolte puis la guerre. Ces relations seront saisies à partir des notions de déplacement et d’indétermination. Déplacement et indétermination des centres de pouvoir ; des identités ; des frontières ; du religieux et du politique ; des catégories et des paradigmes. Ces deux notions sont particulièrement heuristiques pour penser ce moment de l’entre-deux – fait de ruptures, de désordres et de désaccords – qu’est la guerre. L’équipe de SHAKK engagera également une réflexion sur les méthodes d’enquête : nous travaillerons hors du territoire national syrien tout en cherchant à réduire au maximum la distance imposée par la guerre, en réalisant des enquêtes dans les pays limitrophes de la Syrie (Liban, Jordanie, Turquie et Kurdistan irakien) et en Europe (France, Suède et Allemagne) et en conduisant des entretiens avec des personnes restées sur place par le biais des messageries en ligne (Facebook, WhatsApp et Skype). De plus, et c’est là la nouveauté de ce projet, l’espace numérique – plus spécifiquement les nombreuses vidéos postées sur YouTube par les différents protagonistes de la révolte et de la guerre – constituera non seulement un site d’enquête privilégié dont les outils de collecte, et d’analyse devront être affûtés, mais fera également l’objet d’une réflexion sur la sauvegarde de la mémoire de ces événements.