Revue de presse Gouvernance et politiques publiques | Juillet/Août 2022

La libération des prisonniers, condition de la légitimité du Dialogue national 

Le « Dilemme du dialogue national » 

Ces deux derniers mois, le « dilemme du dialogue national », comme l’appelle le chroniqueur d’Al-Shorouk Abdullah al-Sinnawi, a tourné autour de la nécessaire accélération des libérations. Selon la députée Maha Abdel Nasser, la libération des « leaders d’opinion » en particulier est primordiale pour établir la crédibilité et la transparence du Dialogue national. Le débat se poursuit, notamment en raison de l’absence de consensus sur le nombre exact de détenus politiques libérés au cours des trois derniers mois. D’après différentes organisations, dont, majoritairement, des ONGs et, notamment, l’Institut du Caire pour l’étude des droits de l’homme, les chiffres varient de 56 à 400 ou 700 libérations sur un total estimé estimé par les autorités et l’opposition civile entre 1040 et 2418 détenus. 

Des demandes qui « appellent à l’ingérence » 

Ces questions, qui occupent une place centrale dans le Dialogue depuis un certain temps, sont devenues pour beaucoup des  conditions sine qua non  de sa réussite. La crédibilité internationale de l’Égypte est également en jeu, notamment à l’approche de la tenue de la COP27 en novembre prochain, qui place le pays sous le feu des projecteurs. Cette crédibilité a été mise en péril quand Negad El Borai, vétéran de la société civile, avocat et membre du Conseil d’administration du Dialogue national, a commenté l’instruction donnée aux prisonniers de ne pas porter plainte contre le Procureur Général (au sujet du renouvellement de leur détention sans preuves) au motif que ces plaintes seraient une ingérence dans l’indépendance et les compétences des organes judiciaires.

Les dernières nouvelles des prisonniers politiques

Cette critique formulée par El Borai fait écho au refus de l’appel présenté par Alaa Abd El Fattah contre le Procureur général Hamada El-Sawy. Le motif de la plainte est l’absence d’enquête après les dénonciations de violences – au nombre de neuf – dont Abd El Fattah aurait été victime. Jugée « irrecevable » début juillet, celle-ci devrait faire l’objet d’un nouvel appel ce mois-ci. Abd El Fattah, qui a obtenu la citoyenneté britannique en mai dernier, poursuit sa 145e journée de grève de la faim et n’a toujours pas été autorisé à recevoir des visites de sa famille. Il réclame également le droit à une visite consulaire britannique. Le Premier ministre britannique Boris Johnson a quant à lui exprimé fin août, suite à une discussion téléphonique avec Abdel Fattah El-Sisi, « son espoir de voir des progrès rapides et positifs sur cette question ».

Ahmed Douma – co-fondateur des mouvements Kefaya et 6 Avril, emprisonné depuis 2013 et condamné une nouvelle fois à une peine de 15 ans de prison et à une amende de 6 millions d’EGP en 2019 pour des accusations liées à des manifestations devant le siège du Conseil des ministres en 2011- s’attend  quant à lui à une visite du Conseil national des droits de l’homme après qu’il eut dénoncé avoir été victime d’abus et de coups infligés par des gardiens de prison mi-août, suite à une agression précédente mi-juillet. Enfin, le chef du Parti de la Force Égyptienne, Abdel Moneim Aboul Fotouh, qui a subi une troisième crise cardiaque au cours de sa détention, n’a pas eu accès à une variété de médicaments non disponibles en prison, malgré de nombreuses demandes.

Les plaintes se multiplient donc contre les autorités pénitentiaires, en particulier celles du complexe de Tora. La question des abus dans les prisons et de la libération des prisonniers politiques a été évoquée dans une lettre écrite par Negad El Borai, signée par dix-neuf défenseurs des droits et adressée au secrétaire général du Dialogue national, Diaa Rashwan. La lettre rappelle cinq points à prendre en considération pour garantir l’efficacité du Dialogue national : la libération des prisonniers politiques détenus, la fin des interdictions de voyager, la fin des saisies de biens par le gouvernement, la levée des obstacles bureaucratiques au organisations de défense des droits de la personne, et enfin la régularisation de ces organisations par l’État.

Frères musulmans : un pas en avant, deux pas en arrière

La question de l’inclusion des Frères musulmans dans le Dialogue national a suscité de nombreuses controverses au cours des deux derniers mois. Malgré l’appel d’Abdel Fattah El-Sisi à inclure les voix exclues de la sphère publique depuis l’annonce du Dialogue national en avril, il semble que les Frères n’en fassent pas partie. Lors d’une entrevue sur l’anniversaire des événements du 3 Juillet 2013, il a déclaré : “Nous avons lancé le Dialogue national pour tous les penseurs, les syndicats, les intellectuels et les forces politiques, à l’exception d’une seule faction.” Et de fait, la division est nette entre ceux qui soutiennent le processus de réconciliation avec la Confrérie, notamment le chef du Parti conservateur Akmal Kortam et ceux qui sont contre, par exemple le député et journaliste Mostafa Bakry. Ce dernier a par ailleurs appelé les organes parlementaires et judiciaires à prendre des mesures contre Kortam et a fermement réfuté l’inclusion des Frères musulmans dans le Dialogue. 

Dans ce contexte épineux, Ibrahim Mounir, le guide suprême intérimaire de la Confrérie, a déclaré à Reuters que les Frères musulmans resteraient à l’écart de toute lutte de pouvoir avec les autorités, et ne participeraient pas à la vie politique – que ce soit par le biais d’une organisation partisane ou en participant à des élections. Il a aussi insisté sur le refus de la violence sous toutes ses formes. Il a néanmoins précisé qu’il serait disposé à participer au Dialogue national, car le succès de ce dernier dépend, selon lui, de l’inclusion de « tout le monde ». 

Le débat sur la question du retour possible des Frères musulmans dans la sphère publique a été ravivé par la mort du leader égyptien d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, lors d’une frappe de drones américains à Kaboul en juillet.  La mort d’al-Zawahiri a été l’occasion de mettre en lumière son passé, et notamment son affiliation aux Frères musulmans au début de sa carrière politique. Les Frères musulmans ont alors été décrits dans les médias comme étant le foyer de toute violence. Le journal al-Watan a considéré que l’organisation des Frères Musulmans était « la mère de tous les groupes extrémistes dans le monde, y compris Al-Qaïda ».

L’économie égyptienne entre les transactions et les prêts 

A la suite de l’approbation par la Chambre des représentants de l’accord qui permet au Fonds saoudien d’investissement public d’acquérir directement des actifs et des entités commerciales en Égypte, l’Arabie saoudite a acheté 1,3 milliard de dollars d’actions dans les sociétés suivantes: Abu Qir Fertilisers and Chemical Industries (ABUK.CA, à hauteur de 19,8%), Misr Fertilisers Production Company (MFPC.CA), Alexandria Container and Cargo Handling (ALCN.CA, à hauteur de 20%) et E-Finance for Financial and Digital Investments (EFIH.CA, à hauteur de 25%)*. Au total, les investissements saoudiens devraient atteindre 7 milliards de dollars dans différents domaines, des énergies renouvelables aux produits pharmaceutiques. Cet accord a été critiqué par le député du Parti social-démocrate égyptien Freddy Elbaiady, qui craint l’absence de dimension productive car il est davantage axé sur les projets de consommation, dont le pays, selon lui, n’a pas besoin

D’autre part, l’Égypte devrait obtenir « prochainement » – selon le Premier ministre Mostafa Madbouly – le prêt du FMI  sollicité en mars dernier.

Autres

Condamnation après le meurtre de l’étudiante par Mohamed Adel

L’homme accusé du meurtre de l’étudiante Nayera Ashraf, poignardée en plein jour devant l’Université de Mansoura en juin dernier, a été condamné à mort, une peine validée par le Grand Mufti. Une infirmière et deux employés du bureau du légiste ont été condamnés à 6 mois de prison pour avoir fait circuler sur les réseaux sociaux une vidéo du cadavre de la jeune femme à la morgue. Une autre jeune femme a été tuée dans des circonstances similaires: Salma Bahgat, 22 ans, a été poignardée 17 fois après avoir rejeté les avances d’un collègue dans le hall d’un immeuble de la ville de Zagazig, la capitale du gouvernorat de Sharqiya. La ressemblance entre les deux crimes a attiré l’attention du public, qui exprime son inquiétude et sa colère sur les réseaux sociaux (comme la page féministe Speak Up partageant un post dénonçant les deux criminels) et a de nouveau appelé à la mise en place de meilleures lois pour protéger les femmes. 

Les églises et les défections électriques

Le public a aussi exprimé sa colère après qu’un incendie dans l’église d’Imbaba a causé la mort de 41 personnes le 14 août. Une déclaration du ministère de l’Intérieur a attribué l’incendie à un dysfonctionnement électrique dans l’unité de climatisation. Trois jours plus tard, un autre incendie s’est déclaré à l’église d’Anba Bishoy, à 273 kilomètres au sud du Caire. Celui-ci n’a fait aucune victime mais a gravement endommagé une grande partie de la structure du bâtiment. D’après le ministère de l’Intérieur, la cause de l’incendie serait également une défection électrique. Cette déclaration a suscité de vives réactions au sein de la communauté copte, notamment sur les réseaux sociaux, et de nouvelles enquêtes ont été demandées.