Le Dialogue national
Diaa Rashwan, qui est à la tête du Syndicat des journalistes pour un 3èmemandat consécutif et Président du Service d’information de l’État – l’appareil officiel des médias et des relations publiques de l’État égyptien – a été nommé début juin Coordinateur général du Dialogue national. Rashwan avait pour mission de lancer une consultation avec les différentes forces politiques et de former un conseil d’administration composé de 19 membres : des représentants de toutes les parties, des personnalités publiques et des experts. Le nom des membres de ce conseil d’administration a été diffusé fin juin et comprend : le député et membre du bloc d’opposition 25-30 Ahmed al-Sharqawy, Amira Saber, députée du parti social-démocrate égyptien, Gamal al-Kishky, rédacteur en chef du magazine Al-Ahram Al-Arabi, Gouda Abdel Khaleq, ancien ministre de la solidarité et membre du bureau politique du parti Tagamou, Reham Bahy, professeur de relations internationales à l’université du Caire, Mahmoud Alam Eddin, professeur de journalisme, Talaat Abdel Qawy, député et président de l’Union générale des ONG, Abdel Azeem Hammad, Mohamed Salmawy et Samir Morcos, écrivains, Kamal Zayed, membre du parti Karama et homme d’affaires, Emad Eddin Hussein, rédacteur en chef d’Al-Shorouk et sénateur, Mohamed Fayez Farhat, directeur du Centre d’études politiques et stratégiques d’Al-Ahram et Amr Hashem Rabie, son adjoint, Maya Morsi, présidente du Conseil national des femmes, Fatima al-Sayed Ahmed, membre de l’Autorité nationale de la presse, Fatima Khafagi, coordinatrice du Réseau de la société civile féminine, Negad al-Borai, avocat défenseur des droits, et Hani Sarie Eddin, vice-président du parti Wafd.
Le conseil devrait se réunir pour la première fois début juillet avant les vacances de l’Aïd al-Adha pour déterminer les noms des participants au Dialogue, son ordre du jour, sa durée et ses priorités.
Le Secrétaire général du Conseil suprême de régulation des médias, Mahmoud Fawzy, a quant à lui été nommé début juin Président du secrétariat technique du Dialogue national, afin d’assister le conseil d’administration du Dialogue dans la logistique.
Par ailleurs, le Mouvement démocratique civil avait d’abord rejeté la nomination de Rashwan comme coordinateur général du Dialogue, annoncée unilatéralement par l’Académie nationale de formation, et déclaré que les négociations n’avaient pas abouti à un consensus concernant la nomination à ce poste. Le Mouvement a ensuite annoncé accepter la nomination de Rashwan et affirmé que des négociations sont toujours en cours pour nommer le Secrétaire général.
Mohamed Anwar al-Sadate, membre du Mouvement démocratique civil, député du Parti Réforme et Développement, membre du Conseil national pour les droits de l’homme et à la tête du Groupe de dialogue international qui négocie avec les organes sécuritaires et le bureau du Procureur général la libération de prisonniers politiques, a dénoncé son exclusion du Dialogue national, au côté d’autres politiciens, et a affirmé être interdit d’apparition dans les médias. Sadate avait déjà émis des critiques le mois dernier quant à la participation « d’organisation de jeunesse » affiliées à des « agences » – telles que l’Académie nationale de formation – dans la gestion du Dialogue.
D’après Diaa Rashwan, certaines parties affiliées à la Confrérie des Frères Musulmans souhaiteraient participer au Dialogue.
Au début du mois de juin, une coalition de dirigeants syndicaux et de représentants des travailleurs de plusieurs partis a publié une liste de conditions jugées essentielles pour la bonne conduite du Dialogue, parmi elles : une loi du travail unifiée, l’amendement de la loi sur les syndicats et la fin de toute ingérence dans la gestion administrative dans les affaires syndicales, la modification de la loi sur l’assurance sociale, l’arrêt de la politique de privatisation et de liquidation des entreprises publiques, l’augmentation des aides sociales.
Parallèlement, le Comité d’amnistie présidentielle semble continuer son travail, plusieurs détenus ont été libérés au début du mois, parmi eux la chercheure et traductrice Kholoud Saeed, l’ancien député Mohamed Mohieldin, le bloggeur Abdel Rahaman Tarek connu sous le nom de « Mocha », le comptable Alaa Essam, l’activiste Hussein « Al-Sabbak » Khamis. Yehia Hussein Abdel Hady, co-fondateur et ancien porte-parole du Mouvement démocratique civil emprisonné depuis trois ans, a finalement été libéré par amnistie présidentielle au début du mois, après qu’il ait été condamné à une peine de 4 ans d’emprisonnement à la fin mai.
Mais cette initiative du Dialogue nationale ne s’accompagne pas uniquement de libérations de prisonniers politiques, mais également de nouvelles arrestations. Le journaliste Mohamed Fawzy Mossad est apparu devant le Procureur de la sécurité de l’État fin mai après avoir été soumis à une disparition forcée deux semaines plus tôt. Il est accusé de répandre de fausses nouvelles et d’avoir rejoint un groupe terroriste, après qu’il ait critiqué sur Facebook l’initiative du Dialogue et la non-grâce de tous ceux arrêtés dans l’affaire de la Coalition de l’Espoir. Mossad avait déjà arrêté pour des charges similaires en novembre 2018 avant sa libération avec des mesures de précautions en février 2020. Abouel Fotouh, ancien leader du Parti Égypte forte et ancien candidat à la présidentielle ainsi que l’ancien Guide Suprême de la Confrérie des Frères Musulman Mahmoud Ezzat ont tous deux été condamnés à 15 ans de prison fin mai, tandis que l’ancien député Mohamed al-Qassas a été condamné à 10 ans de prison. Le verdict a été rendu par un tribunal d’exception et ne peut donc pas être soumis à une procédure d’appel normale. Arrêté en février 2018 après avoir critiqué le Président al-Sissi dans les médias, Abouel Fotouh a été jugé coupable de financer et diriger un groupe terroriste et d’avoir diffusé de fausses nouvelles et accusé d’avoir tenu des réunions secrètes avec des membres de l’organisation des Frères musulmans. Il a par ailleurs accusé en avril les autorités pénitentiaires de Tora de mauvais traitements qui ont engendré une sévère détérioration de sa santé, et il a également été détenu à l’isolement de façon prolongée.
Rapprochement avec le Qatar
De nouvelles étapes ont été franchies dans le rapprochement entre l’Égypte et le Qatar.
Fin juin, l’Émir du Qatar Tamim bin Hamad al-Thani a effectué une visite officielle au Caire, une première depuis la rupture diplomatique entre les deux pays en 2017 qui avaient vu leurs relations se détériorer depuis l’éviction de Mohamed Morsi en 2013. Comme la Turquie, le Qatar a été un des plus forts soutiens à l’administration Morsi, puis a accueilli de nombreux membres de la Confrérie en exil. Les deux pays auraient apparemment accepté de ne plus autoriser aucune activité des Frères musulmans sur leurs territoires.
La visite de l’Émir qatari a été précédée de plusieurs réunions concernant des investissements en Égypte. En mars 2022, les Qataris ont signé un accord d’investissement à hauteur de 5 milliards de dollars en Égypte. Parmi les négociations en cours figure également la ré-autorisation de la diffusion de la chaine Al-Jazeera en Égypte, sous de nombreuses conditions.
Cette visite se produit après celle de Mohamed bin Salman. D’après Mada Masr, le Prince saoudien œuvrerait à un rapprochement avec le Qatar et la Turquie – et pousserait ainsi son allié égyptien dans ce sens – pour contrer l’influence émiratie dans la région avant la visite du Président américain Joe Biden au royaume saoudien prévue en juillet prochain, et sa participation à un sommet du Conseil de coopération du Golfe – où seront également représentés l’Égypte, l’Irak et la Jordanie. Des pourparlers avaient été engagés en mai 2021 entre l’Égypte la Turquie, qui avait par ailleurs décidé de fermer des programmes télévisés anti-régime et ordonné à des personnalités politiques de cesser leurs commentaires sur l’Égypte sur les réseaux sociaux.
Cette politique saoudo-égyptienne s’accompagne de nouveaux investissements du royaume en Égypte : 14 accords auraient été signés au cours de la visite du Prince, d’une valeur de 7,7 milliards de dollars, ce qui classerait l’Arabie Saoudite en tête des investisseurs en Égypte, avec un total de 29 milliards de dollars.
Meurtre d’une étudiante et débats sur les violences faites aux femmes
Une sombre affaire a secoué la presse égyptienne et les réseaux sociaux fin juin. Une étudiante à l’Université de Mansoura, Nayera Ashraf, a été poignardée à mort et égorgée devant l’Université par un homme qui la harcelait et lui avait fait plusieurs propositions de mariage que l’étudiante avait refusées. La famille avait déposé une plainte contre le harceleur de Ashraf, documentant ses menaces de mort. Aucune enquête n’avait été ouverte. L’absence de condamnations officielles – l’Université a simplement précisé que le meurtre avait eu lieu à l’extérieur de ses murs et que l’assassin avait été immédiatement arrêté – ainsi que des propos faisant incomber à la victime la responsabilité de son meurtre par sa tenue vestimentaire ont suscité de nombreux débats sur les réseaux. Entre autres, le doyen de la faculté d’études islamiques de l’université Al-Azhar, Mabrouk Attia, a publié une vidéo sur Facebook dans laquelle il explique que les femmes doivent se couvrir entièrement si elles ne veulent pas connaitre le même destin qu’Ashraf, faisant directement référence au fait que la jeune femme ne se voilait pas. Le Conseil national des femmes – vivement critiqué pour son absence de protection des victimes et des témoins, notamment dans l’affaire du Fairmont durant laquelle les témoins avaient été arrêtés après avoir été encouragés à témoigner – a déposé une plainte auprès du Procureur contre Attia.
Quelques jours après le meurtre, une étudiante jordanienne, Iman Irsheid, a été abattue sur son campus universitaire. Son assassin l’avait menacée de lui faire subir le même sort qu’Ashraf si elle ne répondait pas à ses approches.