Du blé indien
Malgré la décision du gouvernement indien mi-mai d’interdire les exportations de blé, le convoi de 61.500 tonnes de blé prévu à destination de l’Égypte devrait tout de même être livré. Le contrat initial entre les deux pays prévoyait une vente à hauteur de 115 000 tonnes ; les 53.500 tonnes restantes ne sont cependant pas sécurisées et nécessitent d’être également exemptées de l’interdiction d’exportation par le gouvernement indien.
Début avril, le gouvernement annonçait que l’Égypte avait des réserves de blé pour 2.6 mois, puis a finalement affirmé mi-mai que les réserves suffiraient pour 4 mois. D’après Mada Masr, il semblerait que les récoltes s’élèvent seulement à 31 % des 6 millions de tonnes de blé qui avaient été prévus par les autorités, prévisions qui avaient ensuite été ajustées à 5.5 millions. Par ailleurs, 41 agriculteurs ont été libérés contre des cautions s’élevant entre 1 000 et 100 000 EGP, après avoir été arrêtés parce qu’ils n’avaient pas vendu leur quota de blé au gouvernement. Le secteur privé cherche également à se procurer du blé, en provenance notamment de Bulgarie et d’Allemagne.
Aides financières
L’Égypte devrait par ailleurs recevoir une subvention à hauteur de 100 millions d’euros de la Commission Européenne pour garantir sa sécurité alimentaire et atténuer les effets de la guerre russo-ukrainienne. L’État égyptien va en effet devoir dépenser 15 milliards d’EGP supplémentaires – quasiment 1 milliard de dollars – par rapport au budget initial pour garantir les importations de blés pour l’année 2022-2023. Les pays du Golfe ont investi dans le pays à hauteur de 22 milliards de dollars au cours de ces derniers mois. Des pourparlers sont également en cours avec le FMI pour un nouveau prêt.
Nouveau plan de privatisation
Mi-mai, le Premier ministre Mostafa Madbouly a présenté le nouveau plan de privatisation de l’État. Ce plan prévoit qu’au cours des trois prochaines années, le secteur privé participera à hauteur de 65% des investissements, contre 30% actuellement et garantit également une place plus importante à l’Autorité égyptienne de la concurrence. D’après Mada Masr, l’État va se retirer, partiellement ou complètement, des domaines suivants : du secteur de la production agricole et animale – à l’exception notamment du secteur du blé, dans lequel l’État va augmenter ses investissements, et du secteur laitier; le secteur de la construction – à l’exception des logements sociaux ; le secteur du commerce de gros et de détail; le secteur des hôtels, restaurants et cafés; le secteur des industries mécaniques; d’une partie du secteur alimentaire ; une grande partie des industries chimiques; le secteur du textile – à l’exception du coton et de la laine.
L’État va maintenir, dans la perspective de les réduire à terme, ses investissements dans les secteurs suivants : le secteur des mines et des carrières, le secteur de la fourniture d’énergie, le secteur de l’eau et de l’assainissement – en augmentant la production d’eau potable à partir de sources de surface.
Enfin, l’État va maintenir ou augmenter à terme ses investissements dans ces secteurs : l’enseignement, les transports – notamment les infrastructures des transports maritime, les chemins de fer et les métros, mais se retirera des ports terrestres et du transport fluvial ; l’information et de la communication –en abandonnant la production télévisuelle et cinématographique ; le Canal de Suez.
Un « Dialogue national » pour une nouvelle république
Lancement de l’initiative et réactions
L’iftar présidentiel annuel a réuni fin avril des officiels de l’État et des politiciens dont certains membres de l’opposition tels que l’ancien candidat nassériste à la présidentielle de 2014 Hamdeen Sabbahi, le journaliste et ancien détenu Khaled Dawoud, ou encore le leader du Parti Karama, Kamal Abu Eita. A cette occasion, le Président al-Sissi a appelé à un « dialogue national » entre toutes les forces politiques, et a relancer le Comité présidentiel d’amnistie, fondé en 2017 et chargé de formuler des recommandations concernant la libération de prisonniers condamnés dans des affaires politiques.
Ce dialogue doit être coordonné par l’Académie nationale de formation, fondée par le Président al-Sissi qui dirige notamment le conseil d’administration, où siège également le Premier ministre. Cette Académie dirige l’École présidentielle de leadership et organise le Forum mondial de la jeunesse.
L’Académie a invité les égyptiens et les partis politiques à rejoindre le Dialogue national et a affirmé qu’un comité conjoint et impartial serait créé, comprenant notamment des représentants de think-tanks. Une fois acceptés par les participants, les résultats du dialogue devraient être présentés au Président.
Les réponses face à cette initiative semblent pour l’instant encore balbutiantes, et varient, mais certains partis et institutions ont accueilli l’invitation, tels que le Parti des défenseurs de la patrie (hamat al-watan), la Coordination des partis de la jeunesse et des hommes politiques (tansiqiyat shabab al-ahzab w al-siyasin), et le Mouvement du 6 avril.
D’autres acteurs ont montré des réserves, notamment quant au rôle attribué à l’Académie dans l’initiative, ou ont émis des conditions quant à leur participation au Dialogue.
En effet, le député du Parti Réforme et Développement Mohamed Anwar al-Sadat, membre du Conseil national pour les droits de l’homme et à la tête du Groupe de dialogue international qui agit en coordination avec le Procureur pour la libération de prisonniers politiques, a publié une déclaration sur les réseaux sociaux. Il y critique la décision d’assigner des organisations de jeunesse – ici l’Académie – affiliées à des « agences » la tâche d’organiser et de gérer le dialogue national.
Des dizaines défenseurs des droits humains ainsi que des politiciens ont signé une pétition appelant à la prise de mesures par les autorités avant la mise en place du dialogue national et identifiant dix points clés nécessaires pour la mise en place d’un dialogue national dans la confiance. Parmi ces points figurent la fin de l’arrestation des activistes et des limitations de liberté d’expression, la libération immédiate de tous les prisonniers politiques, le déblocage d’une centaine de sites internet interdits, l’amélioration des conditions de vie dans les prisons, et la clôture de l’affaire des ONG qui vise des organisations égyptiennes de défense des droits. La déclaration appelle également le gouvernement à mettre fin aux détentions provisoires et à l’utilisation des lois antiterroristes contre les opposants politiques, ainsi que l’arrêt des tribunaux militaires. Les signataires demandent la formation d’un comité juridique indépendant, qui inclurait des membres du gouvernement nommé par le Conseil national pour les Droits de l’Homme et des experts d’organisations indépendantes pour mener des enquêtes sur des cas de tortures et évaluer les décisions de justices rendues depuis le 24 juillet 2013 dans toutes les affaires politiques. Ce comité devrait appeler à la tenue de nouveaux procès pour des affaires qui avaient été jugée par le Conseil de sécurité d’urgence de l’État, ou pour toute affaire dans laquelle un civil aurait été jugé devant une cour militaire.
Un dialogue déjà en péril ?
Le groupe United Media Services a par exemple interdit mi-mai à ses journaux (notamment Youm 7, al-Watan, al-Dostor, Egypte Today) et chaines télévisées (OnTV, al-Hayat, DMC, CBC, al-Nas) d’inviter des représentants du Mouvement civil démocratique, ou de rapporter des informations sur le groupe.
Ce Mouvement, fondé en décembre 2017 par sept partis d’opposition (le Parti de la Réforme et du Développement, le Parti de l’Alliance Populaire Socialiste, le Parti al-Dostor, le Parti al-Adl, le Parti Social-Démocrate Égyptien, le Parti al-Karama, le Parti Masr El-Horreya, le Parti du Pain et de la Liberté) et environ 150 figures politiques, s’est réuni début mai pour discuter d’une stratégie commune vis-à-vis de cet appel présidentiel. Parmi les partis présents à la réunion : l’Alliance populaire socialiste, le Parti conservateur, le Parti al-Dostor, le Parti de la conciliation nationale (Wifak), le Parti socialiste d’Égypte et le Parti du Pain et de la Liberté, ainsi qu’un certain nombre de militants et de politiciens indépendants. Le groupe a mis en avant cinq domaines qui devraient être selon lui au cœur du Dialogue national : réforme politique et transition démocratique, réforme économique et justice sociale, réforme législative et institutionnelle, droits de l’homme et libertés publiques, sécurité nationale et intérêts nationaux. En contrepartie de sa participation au Dialogue, le Mouvement discute de certaines modalités : la formation d’un secrétariat technique pour coordonner l’initiative – qui serait indépendante de l’Académie – mais également sa participation à l’agenda du Dialogue.
La raison de cette mise à l’écart médiatique serait la désapprobation des services de sécurité, qui possèdent le groupe de médias, à propos d’une discussion tenue par le groupe sur le Dialogue national durant laquelle la cession des îles Tiran et Sanafir à l’Arabie Saoudite en 2016 aurait été évoquée. Durant cette réunion, des personnalités politiques auraient également critiqué le rôle de l’Académie nationale de formation dans l’organisation du Dialogue national.
Le Mouvement civil démocratique a également appelé les autorités à accélérer la libération des prisonniers, promise depuis l’Aïd, comme gage du sérieux de l’initiative de Dialogue national. En effet, si plusieurs dizaines de prisonniers politiques ont été libérés fin avril, notamment Hossam Moanis, ancien directeur de campagne de Hamdeen Sabbahi arrêté en juin 2019 notamment pour sa participation à la Coalition de l’espoir et libéré quelques jours après l’iftar présidentiel, ou encore le pharmacien Ahmed Mohie, arrêté en mars 2019 après avoir tenu place Tahrir une banderole appelant al Sissi à quitter le pouvoir, les 1000 prisonniers présentés sur la liste établie par le Comité présidentiel d’amnistie, qui aurait été acceptée début mai, n’ont pas encore été relâchés. Par ailleurs, fin mai, Yehia Hussein Abdel Hady, ancien porte-parole du Mouvement civil démocratique et co-fondateur du mouvement arrêté en janvier 2019, a été condamné à 4 ans de prison pour publication de fausses nouvelles alors sa libération fait l’objet de négociations menées par le Comité d’amnistie. Tarek al-Khouly, un membre du Comité, a par ailleurs nié l’existence de prisonniers politiques en Égypte, affirmant que tous les prisonniers sont détenus selon des procédés légaux.
Cet appel à un « Dialogue national » survient alors que les arrestations de politiciens, journalistes et académiques, et les conditions de détentions ont à nouveau été au cœur de l’actualité.
Début avril, la nouvelle de la mort d’Ayman Hadhoud, chercheur en économie et membre du haut comité du Parti Réforme et Développement, près de deux mois après sa disparition forcée, survenue début février, par l’Agence de Sécurité nationale, a secoué les réseaux sociaux. Sa famille a en effet appris la nouvelle de sa mort près d’un mois après le décès, survenu dans l’hôpital psychiatrique d’Abbasseya où il aurait été amené informellement. Officiellement arrêté pour tentative de cambriolage, les circonstances de la mort d’Hadhoud sont floues : le Procureur affirme que ce dernier serait mort d’une maladie cardiaque chronique et qu’il souffrait de symptômes schizophréniques, tandis qu’un expert médico-légal indépendant, mandaté par Amnesty international- suggère la présence de signes de torture et de mauvais traitements, notamment de brûlures, d’après une analyse des photos du corps du chercheur, corrélé par des témoignages.
Une députée du Parti Réforme et Développement, Rawiya Mokhtar, a demandé la mise en place d’une commission d’enquête au Parlement et a également soumis une demande d’informations au Ministre de la Santé quant à la responsabilité de l’hôpital d’Abbasseya et des médecins en charge dans la mort de Hadhoud.
La famille du chercheur a lancé des poursuites et demandé une indemnisation. L’équipe légale en charge du dossier a par ailleurs demandé à avoir accès aux différentes vidéos de surveillance sur lequel la victime apparait – notamment celles du commissariat de Qasr el Nil où il a été amené après avoir été arrêté, mais également celles de l’hôpital où il est décédé. Le bureau du Procureur a pour l’instant refusé, puis omis, de lui donner accès au dossier, notamment médico-légal, alors qu’il a accepté la plainte civile déposée par la famille. Celle-ci a également demandé à ce que les deux affaires concernant Hadhoud, qui sont l’accusation de cambriolage qui lui a valu son arrestation et l’enquête sur sa mort, soient fusionnées.
Fin avril, deux journalistes, Safaa al-Korbagy et Hala Fahmy, ont comparu devant le procureur suprême de la sécurité d’État après avoir été enlevées. Safaa al-Korbagy avait été licencié trois mois plus tôt après avoir publié des vidéos sur sa page Facebook de sa participation à la manifestation en janvier dernier des salariés des médias d’État contre les mauvaises conditions de travail à l’Autorité nationale de radiodiffusion à Maspero. Hala Fahmy avait appelé à augmenter les manifestations et à la tenue d’un sit-in au siège de l’Union de la radio et de la télévision égyptienne.
Mi-mai, Hala Fahmy a entamé une grève de la faim. De nombreux autres prisonniers politiques ont également entrepris des grèves de la faim ces derniers mois pour dénoncer leurs conditions de détention et des agressions subies au sein de la prison. Parmi eux figurent notamment Abdel Rahman “Mocha” Tarek, qui a été hospitalisé fin avril après 73 jours de grève, Abdel Moneim Abouel Fotouh, Ahmed Douma, Ahmed Samir Tantawi et Alaa Abd El Fattah. Ce dernier a finalement été transféré dans le nouveau complexe pénitencier de Wadi al-Natroun à la mi-mai, après que sa famille ait demandé qu’il soit transféré dans un hôpital-prison étant donné la détérioration de son état de santé. Alaa a obtenu la citoyenneté britannique en avril et a demandé le soutien légal des autorités britanniques.