In memoriam – Paul SANLAVILLE (1933-2021)

crédits : Claire Sanlaville

C’est avec beaucoup d’émotion et une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Paul Sanlaville, jeudi 4 mars 2021.

Géographe, géomorphologue, il a été un des meilleurs connaisseurs du Proche-Orient et du Golfe arabo-persique, qu’il a longuement arpentés et tant appréciés. Son ouvrage intitulé Le Moyen-Orient arabe. Le milieu et l’homme, paru en 2000 chez Armand Colin (Coll. U) reste à ce jour la référence géographique incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à cette région.

Né en 1933 à Izieux, aujourd’hui quartier de St Chamond, il a effectué ses études supérieures d’histoire et de géographie à l’université de Lyon. Et c’est dans le cadre de son Diplôme d’Études Supérieures qu’il a réalisé ses premiers travaux à l’étranger, en Algérie, où il passe six mois, en 1955-56, avec Marc Côte, dans le Hoggar où ils étudient la géographie physique et humaine de cette région montagneuse hostile.

Agrégé de géographie en 1958, il est nommé professeur au lycée de garçons Aumale de Constantine (Algérie, 1958-1960) où il rencontre Denise qui deviendra son épouse. En 1960 ils s’installent à Beyrouth, où il travaille à sa thèse et enseigne, jusqu’en 1968, à l’Institut de Géographie du Proche et du Moyen-Orient, dont il a été secrétaire scientifique puis directeur-adjoint.

Il y travaille avec le Père Henri Fleisch S.J., spécialiste des langues orientales, préhistorien et grand connaisseur du Quaternaire marin du Liban, sur l’étude morphologique du littoral libanais. Il y fait la connaissance de Francis Hours S.J., préhistorien lui aussi. De leur collaboration sur l’étude du Quaternaire littoral libanais naît une longue amitié qui se poursuivra à Lyon lorsque tous deux se retrouveront à la Maison de l’Orient. Leurs recherches les conduiront tout d’abord à Borj Qinnarit, au sud de Saïda où, en compagnie de Rémi Dalongeville, ils récoltent des artefacts dans une vieille plage perchée à près de 120 m d’altitude, puis en Syrie, dans la vallée du Nahr el-Kébir septentrional où ils découvrent, à Sitt Markho, une très ancienne terrasse alluviale contenant l’industrie la plus vieille alors connue en Syrie. De là leur est venue l’idée de créer, en 1976, une équipe de recherche CNRS, la RCP 438, Quaternaire et préhistoire du Proche-Orient, à laquelle sont associés Lorraine Copeland, Jacques Besançon et Sultan Muhesen, puis Olivier Aurenche. Cette fine équipe va arpenter le terrain syrien, de la mer au désert, avant de se consacrer pendant quelques années à la Jordanie, inaugurant une association très fructueuse entre préhistoriens et géomorphologues. Ils ont renouvelé l’approche de cette science en mettant en œuvre une pluridisciplinarité alors encore fort rare et bien plus souvent évoquée que réellement pratiquée. De cette collaboration naîtra notamment l’incontournable Atlas des sites du Proche-Orient, mieux connu sous le nom d’ASPRO (1994, TMO 24) et auquel ont également collaboré Marie-Claire et Jacques Cauvin.

Rentré en France en 1969, Paul intègre en tant que chercheur le CNRS et soutient sa thèse d’État en 1973 sur l’Étude géomorphologique de la région littorale du Liban, travail qui fait toujours autorité aujourd’hui et qui le consacre comme un spécialiste des espaces littoraux méditerranéens et plus largement du Quaternaire au Moyen-Orient.

Quelques années après la création, en 1975, de la Maison de l’Orient méditerranéen (MOM), Jean Pouilloux, son fondateur, en confie les clés à Paul Sanlaville. Il dirigera l’institution de 1979 à 1987, avec habileté et compétence. Peu de temps après, il créé au sein de la MOM, l’URA 913-GREMO, intitulée « De la mer au désert, gestion de l’espace et organisation des sociétés », qui vient prendre la suite de la RCP 438 et qui associe géographes, préhistoriens, ethnologues, anthropologues, archéologues, historiens, sociologues, tous ayant la Syrie comme terrain d’étude privilégié.

Il fut aussi vice-président de l’université Lyon 2 (1982-1984) et président de la section 31 (alors celle des géographes) du Comité National de la Recherche Scientifique (1991-1995).

Chercheur infatigable et curieux, il a travaillé non seulement au Liban et en Syrie, ses terrains de prédilection, mais aussi dans plusieurs pays du Proche et du Moyen-Orient : dans les Émirats Arabes Unis, au Soudan, en Iraq, en Jordanie, au Yémen, au Pakistan, en Turquie, en Tunisie…, s’intéressant à des domaines aussi divers que l’évolution des littoraux levantins, la quête de l’eau dans les zones arides, l’occupation humaine au Paléolithique…

Toujours attentif aux évolutions de la recherche et des thématiques, il s’est beaucoup intéressé par la suite aux changements climatiques qui ont affecté la région durant le Pléistocène supérieur et l’Holocène, en rédigeant notamment nombre de synthèses qui restent aujourd’hui, dans ce domaine sans cesse renouvelé, des références.

Paul, chercheur à l’esprit clair et méthodique, grand pédagogue, nous a légué un bel héritage, fait d’humanisme, de convictions, de qualités humaines et intellectuelles, de sensibilité et de droiture aussi. Sa formation en géographie physique (géomorphologie littorale) ne l’a pas empêché de s’intéresser à l’Homme, aux sociétés humaines et à leur développement dans une optique diachronique qui a toujours eu la faveur des géographes et qu’il pratiquait avec bonheur.

Il a marqué toute une génération d’orientalistes, de membres de la Maison de l’Orient, qu’ils soient chercheurs, enseignants-chercheurs, ITA ou étudiants. Son charisme, son ouverture d’esprit, son caractère avenant et amical, sa rigueur scientifique en ont fait un modèle pour nombre d’entre nous, sinon un mentor. Il avait l’art de mettre les gens à l’aise, de les valoriser dans les moments difficiles, de les soutenir. Nous sommes nombreux à avoir profité de ses enseignements, de ses conseils avisés, de sa sagesse.

Paul était à sa manière un « révolutionnaire » : il avait compris bien avant d’autres l’importance d’une réelle approche pluridisciplinaire, en associant géographes, anthropologues, préhistoriens, archéologues, sociologues… Son ambition était d’étudier, sur le long terme, les sociétés et leurs relations avec l’espace où elles se développaient.

Cette grande figure familière va nous manquer.

Bernard Geyer

 

Paul Sanlaville et Bernard Geyer observant les dépôts alluviaux dans un puits bédouin près de Larsa (Irak) en 1989 crédits : Joël Suire