C’est avec une immense tristesse et un sentiment de révolte que nous apprenons la mort de Lokman Slim lâchement assassiné le 3 février 2021 dans le Sud du Liban.
Homme de culture et d’engagement, Lokman Slim paye d’un lourd tribut sa liberté de pensée et sa pratique sans concession de la liberté d’expression.
Les chercheur·es en sciences humaines et sociales sur la région du Proche-Orient ont régulièrement bénéficié du travail de Lokman Slim à travers Umam Research & Documentation, une association qu’il co-dirigeait avec son épouse Monika Borgmann. Umam avait été créée en 2004 avec un double objectif : construire un centre d’archives citoyennes accessibles au plus grand nombre et sensibiliser le public aux sujets de la guerre et de la violence à travers les arts. Ensemble, ils avaient aussi fondé le Hangar, un centre culturel dans lequel ont été organisées de nombreuses expositions, notamment sur les mémoires de la guerre et du quartier de Ghobeiri où il était situé.
Porté par une parole située et engagée dans le développement d’une société ouverte et démocratique, ce travail de construction d’une archive de l’histoire immédiate du Liban constitue un apport décisif à nos travaux de recherche.
Lokman Slim occupait une place éminente dans la vie culturelle libanaise. Il avait fondé en 1990, avec sa sœur l’écrivaine Racha Al-Ameer, les éditions Dar Al-Jadid qui ont marqué le paysage éditorial libanais et arabe par ses choix innovants. Avec Monika Borgmann, il avait réalisé deux documentaires incontournables: Massaker (2004) livrait les témoignages d’anciens miliciens ayant participé aux massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila en 1982, Tadmor (2016) portait sur le quotidien des détenus dans la prison syrienne de Tadmor/Palmyre.
Lokman Slim était aussi un écrivain et un orateur au style vif et percutant. Il s’exprimait dans une langue ciselée, aussi bien en arabe qu’en français ou encore en anglais. Deux de ses écrits disponibles en français témoignent de la finesse de ses réflexions et de son amour sans concession du Liban : « La paix à la libanaise, ou l’art de la réconciliation sans modération » (Liban. Espaces partagés et pratiques de rencontre, Cahiers de l’Ifpo, 2008 [En ligne] https://books.openedition.org/ifpo/105) et « Beyrouth. Une capitale qui capitule » (Beyrouth à mots découpés, Poitiers, 2000, http://www.worldcat.org/oclc/495443604) dans lequel il dévoilait quelques faux-semblants de Beyrouth et du métier d’éditeur.
Cet assassinat fait craindre un nouveau cycle de violence visant les intellectuel·les. La communauté académique engagée dans l’étude et la recherche sur les sociétés du Proche-Orient s’associe à la douleur de la famille de Lokman Slim et honore sa mémoire.
Avec le soutien de : l’Institut français du Proche-Orient (UMIFRE 6 / USR 3135-MEAE / CNRS), le Centre d’études en sciences sociales du religieux (UMR 8216 – EHESS / CNRS), l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (UMR 7310 – CNRS), la Société des études sur le Moyen-Orient et les Mondes musulmans
Emma Aubin-Boltanski (CéSOR), Myriam Catusse (IREMAM), Kamel Doraï (Ifpo), Véronique Ginouvès (MMSH), Pauline Koetschet (Ifpo), Franck Mermier (IFEA), Jean-Christophe Peyssard (MMSH)